Arriver à un accord parfait entre un whisky et un met s’avère parfois être un aventure plus difficile qu’il n’y paraît, tant par rapport au choix de l’accord en question que du lieu pour l’apprécier au mieux.
Aussi, pour se faire je vais vous amener au nord-est de la perle des Hébrides, Islay, dans la plus septentrionale et la plus compliquée à écrire des distilleries : Bunnahabhain.
A vélo, la route côtière du nord est magnifique par beau temps. Elle longe le bras de mer entre Islay et Jura, en donnant de cette seconde ile une des plus belles perspectives. Les cotes et les descentes se succèdent, passant tantôt le long du Loch d’Ardnahoe, tantôt au-dessus des falaises au milieu des moutons. Comme un gout de fin du monde ou comme un graal, la distillerie apparaît après un dernier virage. Une dernière descente et nous nous retrouvons au milieu de tas de tonneaux vides en attente de leur précieux liquide.
Notre regard est attiré par un magnifique voilier accosté au bout du quai de chargement mais personnes à l’horizon, juste la mer et au loin les montagnes de l’ile de Jura. Le lieu est solennel avec ses bâtiments plus que centenaires et ses habitations d’ouvriers désormais fantôme.
En silence nous nous hasardons dans la cour de la distillerie en passant sous le porche gravé à son nom. Sur la droite les bureaux mais surtout sur la gauche, la warehouse.
La porte est entre-ouverte et nous rentrons en silence dans ce lieu humide et sombre. Entourés de tonneau de tous genres. Nous arrivons ensuite au fond du bâtiment seulement éclairé de nos torches. Face à nous se trouvent des futs (pédro ximenez Noe, Bunnahabain mòine…) nous font dire que nous sommes au bon endroit. Personne ici mais sur un des fûts est posé une bouteille (de celles qui, avec leurs larges fonds, supportaient aisément le roulis lors des traversées vers le continent) de Cruach Mhona et des glencairns.
Toujours à la lumière de nos torches, nous nous servons un verre chacun. La lumière est très limitée mais elle nous permet malgré tout de voir que la couleur de ce whisky est plutôt claire. Il s'annonce comme un whisky nature (vieilli en fut de chêne américain neuf) ce qui ne devrait en rien masquer la force tourbée de l’orge qui le compose (le fameux mòine ou malt tourbé en gaélique dans le texte).
Un bruit parcourt le warehouse nous faisant craindre la fin de cette dégustation peut être interdite. Mais il ne s’agit en fait que d’une souris parcourant les murs.
Nos nez plongent dans les verres et nous font découvrir un whisky vif et tourbé (on nous avait prévenu car Cruach Mhona signifie pile de tourbe en Gaélique). Une fois repris une respiration et laissé notre nez se soulager de la tourbe, c’est des arômes d’herbe séchée et même de foin brulé qui surgissent. Un troisième passage nous lance même quelques épices. Quelle belle annonce.
Vite goutons-le avant de se faire prendre ! En bouche c’est un vrai voyage car, tout clair qu’il soit, il apparaît très moelleux au palais. Certes ses 50 ° lancent une forte sensation alcoolisée en bouche, mais très vite elle s’atténue pour laisser la place à une douceur sucrée et une sorte de douce couche de tourbe dans la bouche. On sentirait presque la matière herbeuse incomparable sur notre palais.
La finale ressort digne des lieux sur des notes salines et iodées mais également sur un fond de tourbes (plutôt inhabituel pour cette distillerie).
Nous nous regardons en nous disons : "mais bien entendue ce serait parfait avec quelque chose à manger". Heureusement en bon français, un de nous sort du pain et un bloc de foie gras de canard de son sac (comme tout le monde le sait on ne doit jamais partir à la conquête du nord de l’ile d’Islay sans nourriture !! NDR).
Une fois en bouche le mélange du sud-ouest de la France et du nord-est de l’ile d’Islay se produit. Le moelleux et l’onctueux se propulsent l’un contre l’autre. La tourbe se sucre, le foin sec se met à s’enflammer. C’est une réussite parfaite, un accord optimum. Aux notes salées viennent désormais s’ajouter des notes poivrées et même vanillées qui nuancent les gouts et apportent encore de la douceur. C'eût été dommage de ne pas faire cette belle découverte.
C’est ravi de cette sensation que nous quittons la distillerie. Nous ne pensions pas avoir la bouche enfumée en venant chez Bunnahabhain, mais nous sommes fin prêt à gravir à nouveau les côtes et les vallées sur nos fières montures pour de nouvelles aventures.
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