Ma route virtuelle en Ecosse, me conduit aujourd’hui au nord du Speyside, presque sur la côte nord. Je suis dans la ville d’ELGIN. Néanmoins, si je suis ici, ce n’est pas (encore, mais ce sera pour une autre fois) pour déguster un Linkwood, un Glen Moray, un Longmorn ou encore un Glen Elgin et visiter chacune des distilleries, mais pour rendre visite à une amie Juliette B (pour l’anonymat) et lui donner un coup de main dans une vague histoire de terrassement.
Bref, me voilà arrivé dans la ville à bord de mon fidèle BRAD PEAT tout pétaradant à en faire pâlir les propriétaires du Moray Motor Museum. Une fois un petit tour dans la vieille cathédrale fait et le coup de main donné, Juliette me propose d’aller plus au sud un peu après la distillerie où elle officie, GLENALLACHIE pour déguster un Blended Malt d’exception. Le MACNAIR’S LUM REEK 21 ANS.
Nous voici donc reparti en direction du sud pour une petite demi-heure de route à travers les magnifiques paysages du Speyside en direction de Charleston of Aberlour. Arrivé dans la ville nous laissons la route des distilleries pour continue plus au sud en direction de Milltown of Edinvillie. Nous arrivons devant la grande grille de la distillerie GLENALLACHIE, mais bien entendu (confinement oblige) si elle est ouverte, la distillerie elle est toujours fermée. Juliette me dit de poursuivre la route encore plus au sud vers les montagnes à proximité.
Nous quittons enfin la route pour prendre un chemin de terre, ce qui a bien tendance à secouer BRAD PEAT. Au bout de quelques minutes sur cette tôle ondulée, nous arrivons en haut de la colline face à une bâtisse de pierre. Derrière nous, une belle vue de la vallée et face à nous un bothy. Juliette me dit nous y sommes !
Une dégustation ici au milieu de nulle part ?
De la cheminée du bothy se dégage une épaisse fumée dont l’odeur est reconnaissable : un feu de tourbe ! Il doit y avoir quelqu’un dedans.
Comme tout bon bothy, la porte est toujours ouverte. Nous entrons donc dans une pièce sombre et dont le plafond est empli de fumée (appelé aussi reek, tiens !), à la limite du respirable (le conduit de la cheminée mériterait peut-être un petit ramonage –il paraitrait qu’on appelle ça « lum reek » en gaélique ! tiens tiens !). Il règne dans la pièce une odeur de tourbe brulée, à s’en croire dans une tour de maltage. On pourrait presque attraper les phénols avec les mains ! Dans la pièce également on devine des tonneaux, et une table sur laquelle sont posés de nombreux échantillons et des verres à mesure, éprouvettes et autres Glencairn de dégustation. On se serait cru dans le laboratoire d’un alchimiste.
Avançant dans la pièce, nous avons découvert, comme surgi du fog, un homme assis…certainement l’alchimiste en question.
Juliette me présente, voici BILLY WALKER, le magicien de la distillerie GLENALLACHIE ! Il était en plein travail de création de blended malt dans une blended room des plus atypiques.
Je demande à BILLY WALKER pourquoi il s’isole comme ça pour créer ses blend ? Il me repond que c’est une manière d’honorer la mémoire Harvey MacNair qui a créé ses premiers blends à la fin du 19ème siècle dans la torpeur de la fumée de tourbe. Il me dit aussi, qu’il essaye de reproduire les blends originaux en les adaptant à l’époque actuelle. Pour se faire, il mélange des singles malts d’Islay, du Speyside et enfin de sa distillerie GLENALLACHIE (que des singles malts puisque nous avons ici un blended malt) passés dans des fûts de bourbon, des hogsheads neufs, d’anciens fût de vin rouge, ou encore des puncheons de Pédro Ximenes ou des sherry butts d’Oloroso. Clairement un travail d’alchimiste.
Pour me prouver, si besoin était, que ses blend malts sont parmi les meilleurs, il me propose de goûter son 21 ans d’âge (grand frère du PEATED et du 12 ans) !
Il sort ainsi une bouteille sur laquelle on peut voir un dessin du visage d’Harvey MacNair entouré d’un nuage de fumée. Je commence à comprendre ce que nous faisons ici. Billy dit qu’il a mélangé ici des distillats âgés au minimum de 21 ans vieillis dans de fûts de chêne vierge, de vin rouge et de sherry Oloroso. Il dit aussi, que la couleur du liquide qui coule dans le verre, d’une belle couleur or foncée (comme on pourrait en trouver avec un vin blanc liquoreux du sud la France sans vouloir être trop chauvin) est sensé rappelé la période automnale des forêts du speyside (période qu’Harvey MacNair chérissait pour aller pêcher les truites saumonées). On dirait que chez BILLY WALKER rien n’est laissé au hasard (mais on s’en doutait un peu…).
Nous proposant de sentir son blend malt, il s’enorgueilli de nous faire part du palmares de ce dernier : World’s Best Blended Malt aux World Whiskies Awards, 2020, Best Scotch Blend Malt Double Gold à San Francisco Awards en 2019.
De quoi mettre l’eau à la bouche.
C’est aussi fébrilement compte tenu du lieu, de l’hôte et du distillat que nous plongeons le nez dans le verre.
Nous avons ici une surprenante douceur au nez. On sent bien qu’en 21 ans les anges se sont allègrement servis sur les 4 différents distillats qui le composent.
Comme s’il suivait la vie d’un arbre, il va d’abord lancer des odeurs boisées et fraiches d’un arbre au printemps mais avec une pointe d’odeur de fumée. Les phénols de la tourbe sont très discrets (et perceptibles quand le nez n’est pas encore franchement dans le verre). Billy nous dit d’ailleurs que son objectif n’était pas spécialement de faire un gros whisky tourbé mais de rappeler la manière dont d’Harvey MacNair l’avait dégusté un soir de pèche : un whisky du speyside dégusté dans une ambiance suffisamment enfumée pour laisser son odeur au verre.
En revanche, ils sont bien présents (et accompagnés d’une pointe de cannelle) quand on le glisse et le frotte dans le creux de la main. La vie de l’arbre continue avec les fruits qu’il produit car vont venir au second passage, des arômes de poires et de raisin. La vie de cet arbre va finir sur des arômes beaucoup plus secs de sa fin de vie : aromes de cannelle avec une pointe de clou de girofle. Avant de finir en fumée quand on éloigne le nez du verre.
Billy, content de son premier effet s’exclama en « anglécossais » : « Lang may your lum reek – slainte mhath » (que votre cheminée fume longtemps –santé) !
Autant au nez il est doux discret, autant en bouche il est montre sa présence du haut de ses 48 % d’alcool. 21 secondes de voyage à travers l’Ecosse. On va commencer dès l’entrée par un passage dans les Bruyeres et la terre du Speyside (avec un premier gout plutôt terreux), on va ensuite faire un tour dans ses forêts (avec une pointe boisée) dans ses ruches (avec un soupçon de miel). Au bout de quelque seconde on part en direction de reine des Hébrides avec un bel arome tourbé rendu frais par l’air marin et des épices qui l’accompagne. On va ensuite retourner dans le Speyside pour retrouver des arômes de fruits issus du distillat du nord de l’Ecosse et pour finir sur la pointe de chocolat noir presque poivrée issue du fût d’Oloroso.
Une fois avalé, le voyage se termine dans la gorge par une pointe de réglisse et une odeur de tabac froid mais en gardant malgré tout la douceur sucrée du miel.
Si l’objectif de Billy Walker était de nous faire voyager dans le temps à l’époque de l’Excise Act au 19ème siècle quand on séchait encore l’orge à la tourbe, et bien c ’est réussi. Mais il ne va pas falloir prendre tout son temps et le laisser créer.
Aussi, content de cette belle découverte et de cette belle dégustation, nous remontons à bord de BRAD PEAT et reprenons la route en direction du nord en direction de Elgin pour raccompagner Juliette et, pour moi, pour poursuivre ma route en direction de la Vallée de Forgue (qui sait il y a peut-être une distillerie là-bas).
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