A peine sorti de la dégustation à côté des Champs Elysées, je reçois un message de Florian G. (pour l’anonymat) qui sévit en France pour le compte de GLENGLASSAUGH, GLENDRONACH et BENRIACH.
Il me demande si je souhaite mesurer par moi-même la « women touch » sur un whisky tourbé. Vous me connaissez toutes les dégustations sont bonnes à prendre (et quand il s’agit de tourbe…). En plus avec les voyages de confinement le temps ne compte pas.
Direction Montmartre pour le rendez-vous. Je retrouve Florian au pied de la Butte vide de touristes. Il se dirige vers BRAD PEAT et me dit « il faut combien de temps avec ton van pour aller dans le Speyside » ? Je lui dis et bien comme d’habitude, un claquement de doigt. Le voici qui monte donc et me dit : « et bien direction Elgin au nord de l’Ecosses. On va aller faire un tour dans la distillerie BENRIACH, je voudrai te faire goûter deux whiskies de 10 ans tourbés mais avec deux recettes différentes (et surtout deux master blenders différents -NDLR-) ».
Nous voilà ainsi de retour sur les terres du Speyside. Au centre du village d’ELGIN. Nous prenons l’A941 en direction du sud. A peine 5 minutes plus tard nous arrivons devant un panneau posé sur des fûts : BENRIACH DISTILLERY. Sur l’un des tonneaux une date 1898 et en arrière-plan un bâtiment avec un toit pagode ! Nous y sommes.
Nous sommes devant une distillerie plus que bicentenaire, et comme toute distillerie de cet âge on peut se douter qu’elle a eu une vie trépidante faite de hauts et de bas ! Nous arrivons devant un stock de fûts à en pâlir plus d’une distillerie. Les bâtiments sont entourés de fûts de toute tailles qui attendent au soleil de recevoir le précieux liquide. Florian profite de notre arrivée sur site pour me résumer un peu l’histoire de la distillerie.
Elle a donc été créée en 1898 par un certain John Duff qui avait déjà à son actif plusieurs créations de distilleries comme notamment 4 ans plus tôt celle jumelle de LONGMORN (qui colle quasiment celle où nous sommes aujourd’hui et qui fait qu’au début la distillerie s’appellera LONGMORN 2). Personnellement, je ne connais pas John Duff mais il faut quand même savoir que c’est lui qui a formé un certain Masataka Taketsuru au début du 20ème siècle, donc on peut considérer qu’il connait son métier.
En revanche, on peut imaginer qu’il était un peu moins pointu au niveau commercial. En effet, quand il a créé la distillerie, la production était déjà bien au taquet en Ecosse et on parlait même de sur-production. Aussi, pour écouler les distillats, il se tourne vers des frères blenders nommés Robert et Walter Pattinson (pas ceux de twilight mais les autres). Cette relation lui permet d’écouler une grande partie de son stock. Cependant les ventes sont réalisées à crédit et les Pattison en question, leurs perroquets et leurs publicités ne suffisent pas à faire écouler tous les stocks et ils font faillite, entrainant avec eux un grand nombre de distilleries (décidément comme s’il ne suffisait pas à Robert Pattinson de créer de crises dans les couples, il fallait déjà que ses ancêtres créaient des crises dans le whisky –NDLR-).
Bref, vous l’avez compris, la distillerie ferme assez rapidement ses portes après son ouverture et il va falloir attendre longtemps avant qu’elle ne rouvre (65 ans !). En 1965, elle reprend du service sous l’égide de GLENLIVET et mène sa barque tranquillement en passant par différents propriétaires, jusqu’au rachat en 2004 par Billy WALKER et sa bande. Sa présence donnera d’ailleurs naissance au premier single malt que nous allons aujourd’hui, le 10 ans CURIOSITAS.
Enfin, depuis 2016, la distillerie a été rachetée par le Groupe BROWN-FORMAN et ses sélections de malts sont opérés par une certaine Rachel BARRIE arrivée en 2017 (qui elle changera la recette du CURIOSITAS en 2018 mais nous allons y revenir).
Voilà, le décor est posé au moment où nous arrivons devant la porte d’entrée de la distillerie (cernée par…des fûts vous avez bien compris). Après en avoir fait le tour (que je vous laisse découvrir dans la vidéo ci-dessous) nous nous rendons dans un des multiples warehouse de la distillerie.
A l’intérieur l’abondance de fûts continue et elle s’accompagne désormais d’une multitude de couleurs sur les fonds de ces derniers. Des gros Sherry Butts Oloroso ou de PX, des Hogsheads, des fûts de bourbon, de fûts de vin, des fûts de portugais de Madère et de Porto, des fûts de Rioja espagnol et même des fûts de rhum et de petits quater cask ! Le moins que l’on puisse dire c’est qu’au milieu d’un des paradis du scotch pour tout amateur, chez BENRIACH c’est le paradis des master Blender.
Je comprends aussi pourquoi, jusqu’à y a peu, la gamme de la distillerie était aussi étendue (presque 30 références chacune élaborées avec des fûts différents jusqu’à l’air WALKER). De quoi faire tourner la tête à un caviste quand un client lui disait « je voudrais une bouteille de BENRIACH ! ».
Je comprends également pourquoi, sous le nouvel air de la marque, le choix a été fait de rationaliser le tout et de proposer « seulement » et pour quoi il était décidé de ne proposer « que » 7 références (2 de 10 ans, 2 de 12 ans, et 1 de 21 ans, 25, ans et 30 ans).
Bref, c’est pour ce changement de positionnement que nous sommes venu aujourd’hui, puisque Flo, me propose de voir la différence entre le 10 ANS (SINGLE PEATED MALT) CURIOSITAS (première recette) et le tout nouveau SMOKY TEN (recette créée en 2018).
Déjà, avant même de le verser, il suffit d’avoir les deux bouteilles en main pour voir la différence.
Le CURIOSITAS vous prévient « voici une bouteille avec une étiquette noire comme de la tourbe sèche ». Le SMOKY TEN lui arbore la nouvelle charte graphique de la marque tout en simplicité et clarté. Pas besoin de retourner la bouteille pour savoir de quoi il est composé, tout est dessus.
Justement quelle est la différence entre ces deux whiskies tourbés. Et bien pour ce qui est du CURIOSITAS, Billy Walker n’avait pas cherché la fioriture ou l’extravagance : de l’orge tourbée et vieilli dans des fûts de bourbon de premier remplissage. Pour ce qui est du SMOKY TEN de Rachel BARRIE, la recette est plus complexe. L’orge est toujours tourbée, mais le vieillissement plus complexe : des fûts de bourbon comme son prédécesseur, mais auxquels se sont rajoutés des fûts de chênes neufs et surtout des fûts de Rhum !
Alors qu’en est-il de ces deux distillats qui se parent tous les deux d’une même couleur or ?
Le 10 ans CURIOSITAS va être d’un premier abord beaucoup plus chaud.
Quand le nez plonge dans le verre, il détecte de suite une tourbe qui se veut terrienne (à l’inverse d’une tourbe maritime rencontrée à Islay). On se sentirai presque dans une ferme avec une belle odeur de terroir, de feu de cheminée et de céréales.
La chaleur du distillat va s’intensifier au second passage avec l’arrivée d’odeur de fruits bien murs (ananas) et d’épices. Le troisième passage va se rafraichir avec une odeur d’orge plus marquée.
Du côté du nouveau SMOKY TEN, le nez va découvrir un distillat beaucoup plus fruité et plus frais.
L’alcool est cependant plus présent alors que le pourcentage d’alcool est le même (46 %) et la tourbe beaucoup plus en retrait. On peut noter la présence d’agrumes lors du premier passage.
Au second passage le caractère fermier de la distillerie du Speyside fait son apparition avec l’orge et la tourbe. Au 3ème passage l’odeur s’adoucie est va plus sur le sucre du miel.
Globalement l’odeur de ce distillat va être un peu plus complexe. Néanmoins on arrive à trouver des points de similitude avec le CURIOSITAS mais à des moments différents de la dégustation.
Le temps de trinquer avec Florian est on passe à la dégustation.
L’attaque en bouche du CURIOSITAS est très fruitée et épicée.
On détecte des épices qui font monter des notes poivrées au nez. Les épices enrobent bien la bouche mais au bout de quelques secondes elles disparaissent pour laisser la place à des notes plus douces et sucrées de vanille et surtout au gouts de la fumée tourbe.
Quand il est avalé une note mentholée et tourbée reste dans la gorge.
Pour ce qui est du SMOKY TEN, à peine entré en bouche, il va se dévoiler et montrer qu’il est passé par un fût de rhum. Un bel arome boisé (qu’on pourrait retrouver sur un rhum jamaïcain) se montre en premier.
Il est suivi rapidement d’une pointe d’épices et de poivre qui se dirige directement sur le palais et qui donne un caractère marin au liquide. Cependant très vite le tout va s’adoucir pour repartir sur un arome très fruité et tourbé. Son voyage en bouche va ainsi se poursuivre en douceur avec de belle notes tourbées.
C’est d’ailleurs ces notes tourbées qui persisteront dans la gorge une fois la dégustation terminée. Elle s’accompagne d’une pointe de réglisse.
Les deux versions s’avèrent être de très bons tourbés du Speyside. Néanmoins il est assez incroyable et difficile à expliquer que quand on a les deux en main (et en bouche) on peut les trouver très différents et pourtant très proches (les aromes n’arrivent pas au même moment). Sans vouloir faire de « cliché » le premier va être plus brut et masculin alors que le second va être plus doux et plus féminin. Comme quoi la patte de l’expert et son choix de vieillissement.
C’est avec grand regret (comme toujours) qu’avec Florian nous remontons dans le van pour quitter le Speyside et pour revenir en France. Mais comme je sais que c’est pour de nouvelles aventures tourbées, ce n’est pas trop grave !!
Écrire commentaire