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ARDBEG TEN VS ARDBEG WEE BEASTIE

 

Grisé par la tourbe chaude du Speyside (voir dégustation BENRIACH SMOKE SEASON), je rentre tranquillement vers la France au volant de mon fidèle Brad Peat, quand je suis pris de la folle envie d’aller faire un tour sur Islay la magnifique.

 

En tant que membre du ARDBEG COMMITTEE, je veux aller voir ce que donne, sur place (car vous pensez bien que ça fait quelques temps que je l’ai gouté vu qu’il est sorti en plein confinement 2020) la nouvelle référence régulière de ARDBEG : le 5 ans WEE BEASTIE ! En plus quitte à être sur place je vais le comparer à la référence de la maison : le TEN (qui rappelons le ici a quand même été créé par le Dr RACHEL BARRIE qui est maintenant chez BENRIACH et à qui nous devons notre dernière dégustation –cf au dessus- mais nous allons y revenir) !

 

 

Me voici ainsi direction plein ouest vers la cote et la presqu’ile de Campbeltown. Un saut de puce de ferry et me voilà à Port Askaig. Ensuite, et c’est souvent comme ça que ça se passe sur Islay, les chakras de la tourbe s’ouvrent et le voyage se transforme en rêve de fumée moelleuse. La route qui vous amène au sud vers ARDBEG, vous met en appétit : PORT ASKAIG, BALLYGRANT, BOWMORE, PORT ELLEN, LAPHROAIG, LAGAVULIN….

 

Quand vous arrivez à destination, vous avez une envie de whisky tourbée insupportable (mais bon là n’est pas le sujet car vous n’avez qu’à y aller et vous verrez qu’il y a un avant et un après être allé là-bas !). J’en profite en passant devant chez LAPHROAIG pour vérifier que mon drapeau est toujours sur mon lopin de tourbe. 

 

 

Bref, me voici rendu au second bout du bout de l’ile (le premier étant au nord chez BUNNHABHAIN plein nord) celui du sud chez ARDBEG. J’aime cette impression de fin du monde des vivants avant dans le monde des dieux de la tourbe. En effet, si je ne connais pas la traduction de ARDBEG en gaélique (si t’en est qu’il y en ait une) mais la traduction française c’est : « ah tu veux de la tourbe et bien tu vas en prendre plein le nez (ou à quelque chose près ça -NDLR-).

 

Imaginez, face à moi la route de la fin du monde et la croix de Kidalton, à droite non loin la mer et la distillerie qui sent bon la tourbe (même si maintenant l’orge est séchée à la malterie de PORT ELLEN – NDLR-) et à gauche, derrière la cabine téléphonique rouge des champs de tourbe.

 

 

C’est d’ailleurs de ce côté que ma curiosité va d’abord me mener. Je remonte le chemin en direction du Loch Larnan en suivant l’Ardbeg Burn et me trouve face à une tourbière où tout n’est pas aussi carré (ou plutôt linéaire) que d’habitude. Il y a bien quelques briquette de tourbe en train de sécher, mais le terrain semble avoir été retourné par un harde de sangliers. Je me rapproche alors d’un vieil homme et lui demande ce qui s’est passé ? Il me dit que c’est arrivé il y a peu, depuis que l’ile est moins fréquentée à cause du virus et que des créatures venues des montagnes se sont rapprocher de la mer.

 

C’est l’œuvre du WEE BEASTIE. Une petite bête trapue qui ne se nourrie que de tourbe et qui n’aime pas qu’on la dérange quand elle fait son repas. Elle met la terreur dans toute la région ces derniers temps. Mon sang se glace quand je vois la cicatrice qui traverse sa jambe. 

 

Aussi, je décide de ne pas m’attarder dans le coin et de continuer vers la distillerie.

 

Une fois au milieu des bâtiments bien calmes (compte tenu de la situation et surtout par rapport au moment du fèis ile), je sais que je suis au bon endroit car il plane une petite odeur de fumée qui sort malgré tout des 3 toits pagode, et surtout sous mes pieds il y a un énorme A.

 

Je continue mon chemin jusqu’au quai pour profiter de la vue sur le Loch An t-Sàlein et la petite ile d’Eilean Imersay. Dans mon dos écrit en (très) grosses lettres : ARDBEG ! Je suis arrivé au but de mon périple, sans avoir été attaqué par le Wee beastie…je suis bien, mais j’ai soif ! 

 

En remontant vers la distillerie, je retombe sur le vieil homme que j’ai eu la chance de rencontrer plus tôt et lui explique que je suis venu pour goûter la différence entre le « TEN » et le « WEE BEASTIE ».

 

Il se présente : « je m’appelle Billy MacDougall et je suis un descendant du créateur de la distillerie » (John MacDougall en 1798 mais officiellement en 1815 comme marqué dans le verre des bouteilles –NDLR-). Il me dit que la distillerie est fermée à cause de la Covid, mais qu’il va m’accompagner au OLD KILN CAFE où il me fera faire la dégustation.

 

Comme lui aussi est fermé, nous nous installons sur une des tables en bois situées dehors (de toute façon nous ne risquons rien car il fait toujours beau à Islay).

 

Mon homme revient au bout de quelques minutes et comme manifestement, il a ses entrées ici car il a dans les mains une bouteille de 10 ans et une bouteille de Wee Beastie.

 

En préparant les bouteilles pour la dégustation, il s’excuse encore car j’ai fait un long chemin pour trouver portes closes et me reparle de ses origines. Il me dit ainsi qu’officiellement la distillerie produit depuis 1815 et surtout que ses aïeux sont restés à la barre de la distillerie jusqu’en 1838 quand celle-ci a été rachetée par un négociant de Glasgow (qui s’occupait de la vente), mais qu’ils sont restés aux commandes jusqu’en 1959 (quand même !). Ensuite, il me dit qu’il y eu une période avec plusieurs propriétaires, et plusieurs périodes d’inactivité mais que c’est depuis 1997 qu’elle est vraiment revenue sur le devant de la scène. Il m’explique que la distillerie est propriété de GLENMORANGIE (donc de LVMH, donc …française !!).

 

Il m’explique que c’est d’ailleurs à cette période-là qu’a été créé le TEN que nous allons gouter par une certaine DR RACHEL BARRIE (quand je vous disais dans mon article précédent qu’elle aimait la tourbe !).

 

D’ailleurs, il profite de m’en parler pour m’en servir un verre digne de ce nom !

 

Avant de passer à la dégustation, il me le présente (si besoin est). Il a été créé en 2000 et chaque distillat passe par 10 années uniquement dans des fûts de bourbons de premier remplissage ce qui lui donne une belle couleur dorée claire avec presque des reflets verts (on croirait de l’eau descendue des tourbières).

 

On peut clairement dire que c’est l’essence même et la signature de la distillerie (une des références de whisky tourbé). C’est par lui (et Rachel BARRIE) qu’est venu le renouveau de la marque. Comme tous les ARDBEGs, il me dit qu’il est distillé à partir d’une orge séchée à la fumée de tourbe entre 50 et 55 PPM (par la malterie de Port Ellen juste à côté de la distillerie fermée) du même nom. Au passage, il me parle du temps jadis où l’orge été maltée sur place et qu’elle l’était entre 80 et 90 PPM !! (et on trouve que l’Ardbeg est tourbé !!).

 

Passons à sa dégustation de la référence :

 

ARDBEG TEN

 

Quand on approche le nez du verre on sait directement à qui on a affaire. Les odeurs de tourbes cherchent à s’en échapper amenant elle quelques agrumes.

 

Quand le nez plonge plus franchement dans le verre, il n’est clairement pas déçu ! On est venu là pour de la tourbe et on en a ! Une belle odeur de fumée chaude accompagnée de fortes notes phénoliques et sucrées. On est bien au coin d’un feu en train de faire griller un gros filet de saumon. Si le nez s’attarde un peu trop il sera envahi de belles notes de poivre.

 

Au second passage l’ambiance se réchauffe encore un peu. Nous venons de mettre un fagot de paille sur le feu de tourbe. Les odeurs vont devenir agricoles et terriennes et on va même détecter le cendrier de tabac froid que nous avons oublié la veille à côté de l’âtre.  

 

Au troisième passage la tourbe reste bien en place (et ho ! on est dans la distillerie ARDBEG quand même) mais elle laisse échapper des notes chocolatées.

 

L’amateur de whisky fumée est aux anges.

 

J’adore l’effet d’un ARDBEG dans le creux de la main : ma paume sent l’odeur des pneus de mon combi qui a trop roulé. Mais elle sent aussi une belle odeur d’orge.

 

 

Je regarde BILL et celui-ci me lance le go avec un « slainte mhath » aux accents incroyablement Islay ! 

 

 

 

Le rêve se poursuit quand le liquide rentre en bouche : une incroyable douceur sucrée, puis rapidement du poivre qui vient préparer la bouche à la TOURBE qui ne vous quitte plus. La bouche est enfumée (on croirait la langue transformée en lamelle de bacon). On détecte une pointe d’âpreté très furtive balayée par le retour de madame la tourbe. Chaque élément qui essaye de tirer son épingle du jeu est à chaque fois balayer par la fumée : un peu d’agrume, boum tourbe, une pointe de poivre, boum tourbe… mais que c’est agréable !

 

Quand on avale le distillat la finale est longue (il y a toujours avant et après un TEN ! ). On garde longtemps dans le gorge des agrumes mais encore plus longtemps des effluves de fumée. Et votre langue garde les traces du sable de la plage de l’Aird Lomarsaigh (d’où on a par ailleurs une des meilleures vues de la distillerie). 

 

Quel beau voyage à chaque fois !

 

Photo credit  Ayack — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=5309356

Il me présente ensuite la nouvelle « petite bête » de la distillerie. Le WEE BEASTIE. Comme le TEN, son orge (à 50 PPM) a été broyée et transformé en grist par Boby (le moulin à malt de la distillerie) et a été distillé par les deux alambics équipés de purificateurs (« endémique » à  la distillerie pour affiné encore la qualité du distillat).

 

En revanche, il me dit qu’il y a deux grosses différences entre les deux distillats. La première réside dans sa recette qui n’est plus celle du DR RACHEL BARRIE (partie pour de nouvelles contrées tourbées) mais du DR BILL LUMSDEN (à la manœuvre des assemblages désormais) et surtout que son vieillissement, qui n’a duré que 5 ans, a été réalisé dans des fûts de Bourbon (comme le TEN) mais également dans des fûts de Sherry Oloroso.

 

Comme, j’ai pu le faire dans une dégustation de deux références de GLENDRONACH, nous allons ici pouvoir mesurer la patte RACHEL vs BILL (notons qu’à l’époque il s’agissait de BILL WALKER et qu’ici il s’agit de BILL LUMSDEN –NDLR-).

 

Allons affrontons la Bête !

 

ARDBEG WEE BEASTIE

 

Comme un jeune animal fougueux prêt à bondir, le WEE BEASTIE se fait beaucoup plus discret à l’approche du verre ; On détecte une très légère odeur de fumée mais beaucoup moins présente que dans le TEN. Il paraît frais.

 

En revanche c’est quand le nez rentre dans le verre, que la bête bondit. De fougueuses notes de poires explosent du champs d’herbe vertes. Il s’annoncé frais mais il l’est. Un mélange d’odeurs herbacées et iodées. Mais attention la bête est une ARDBEG et elle lâche d’un seul coup sa tourbe et avec elle une pointe de poivre qui vient geler d’effroi les cils nasaux. 

 

Au second passage la tourbe se met en retrait et laisse passer des odeurs de vanille et une pointe d’anis. Le distillat va alors se révéler plus « agricole » avec une odeur de terre.

 

Au troisième passage, comme pour nous rappeler qu’une partie du vieillissement s’est passée en fût de sherry, quelques notes de fruits rouges font une timide apparition comme s’ils s’étaient cachés derrière la tourbe revenue sur le devant.

 

Dans la main la tourbe est plus discrète. L’odeur semble être inverse de celle du TEN :  plus d’odeur de l’orge que de pneu (alors que dans le TEN on avait d’abord le pneu chauffé et ensuite le foin).

 

 

En bouche la bête fini de surgir. Elle le fait avec la force et fougue de son jeune âge. Des épices et du sucre. La sensation s’avère plus chaude que l’annonce qu’elle faisait au nez. Le poivre vient piquer la langue et laisse la place à la tourbe qui s’accompagne de notes d’anis. Une fois en place elle la cède plus et reste très présente. L’impact du fût n’est pas très marqué (ou ne l’a pas été assez longtemps pour prendre la place de la tourbe). La fin de la dégustation est plus calme et va être de plus en plus mielleuse et moelleuse. Comme si le WEE BEASTIE se « TENisé » au fur et à mesure et que le distillat finissait de vieillir en bouche.

 

Une fois avalé, la finale est plus franche que pour le TEN mais elle est moins longue et laisse beaucoup moins de place à la tourbe.

 

Content de cette comparaison, je demande à BILL ce qu’il en pense !

 

Préférez-vous le ronronnement du 10 ans ou la fougue du 5 ans ? Il me regarde et me dit : « tu sais mon ami, je buvais du ARDBEG alors que tu buvais encore du lait (donc à l’époque où il était à 80 PPM) et pour moi le vrai ARDBEG c’est le TEN ».  

 

Je crois que personnellement aussi mais je trouve aussi que le WEE BEASTIE permet d’avoir une approche de la tourbe différente quand la personne qui le boit n’est pas aguerrie à mâcher une buchette de tourbe.

 

Sur cette conclusion je prends congé de BILL et non content de pas avoir été croqué par la petite bête je remonte dans mon combi en direction de nouvelles aventures.

 

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